https://www.lorientlejour.com/article/1449353/federalisme-decentralisation.html

 Article de S.E. Mme l'Ambassadeur Samira Hanna-el-Daher dans l'orient le jour.

Le monde bascule dansnouvelle direction et le Liban avec lui. Entré dans une nouvelle dimension et centré sur la confrontation entre les démocraties vieillissantes et l’Europe, l’ultralibéralisme de la nouvelle Amérique et le reste du monde connu sous le vocable fourre-tout de Sud global dirigé par la Chine, la Russie ou même le Brésil, le monde et la communauté internationale se remettent à la redéfinition de tous les paradigmes. Dans ce cadre, le Liban n’est non seulement pas en reste, mais en quelque sorte leader et subit ces remous et la nécessité de la réadaptation à toutes les nouvelles définitions. Comme chacun le sait, le fédéralisme dans les pays multiethniques, multiculturels, finit toujours par mener à une partition : les questions régaliennes de défense, de monnaie, de relations internationales, de sécurité interne et de justice relèvent du centre, c’est-à-dire de l’État fédéral ! Les forces centripètes des États fédérés ou régions fédérées finissent toujours par déchirer le tissu social et par aboutir à une partition ; chaque partenaire voudrait gérer ses intérêts nationaux et internationaux à sa guise...

À la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle, la partition de tout État représentait un chiffon rouge pour la communauté internationale qui craignait les guerres de proximité et autres problèmes à l’instar de la division de Chypre, problème toujours irrésolu. Mais avec le nouveau basculement du monde, la donne semble avoir changé et les exemples fédératifs ont la pêche. Quoi qu’il en soit, pour le Liban, le changement d’attitude des puissances semble radical.

Nationaliste de conviction et fière d’un Liban-message, multiculturel et multiconfessionnel, le fédéralisme était pour moi une option mortifère pour le pays du Cèdre, car il menait nécessairement, par-delà les problèmes intérieurs, à une partition du pays inadmissible pour la communauté internationale.

Mais il en va tout autrement aujourd’hui car la donne a changé, menée par les États-Unis qui semblent avoir repris la main et l’intérêt pour la région. Le ousting, car c’est bien de cela qu’il s’agit, de Bachar el-Assad, les visées sur les golfes arabe, du Mexique ou de la mer du Nord, permettent malgré Fukuyama et sa fin de l’histoire de se poser la question des frontières et donc de celle des États, et donc d’une possible partition.

En adéquation avec la nouvelle vision d’un monde ultralibéral, cela signifierait pour le Liban une séparation – à l’amiable ou forcée – des forces liées à l’hinterland arabo-musulman.

Les prémices de ce basculement ne sont-elles pas déjà visibles dans le nombre de groupes d’études établis ou s’établissant rapidement pour définir et défendre les thèses fédéralistes, face au petit nombre insignifiant de ceux qui défendent encore une Constitution – ou sa réforme – d’un État unitaire ?

Certains même font les jolis cœurs et offrent avec bienveillance ou à contrecœur à leurs partenaires de toujours d’accepter de regarder ailleurs et d’envisager un certain divorce, puisqu’on ne s’entend pas ou plus sur les fondamentaux...

Les navettes reprennent vers le port de Larnaka (Chypre) et l’aéroport de Qleyaat est de nouveau au cœur d’un débat politique, mais qui dans un pays unitaire et uni apparaîtrait comme une nécessité de toujours et de tout premier ordre plutôt qu’un défi et l’expression d’une volonté de retrait : moi chez moi et toi chez toi...

Dans les coulisses du Parlement libanais, on parle déjà de loi électorale et, dans ses corridors, de fédération ou par euphémisme de décentralisation (ou même mais par ignorance de confédération).

Qu’on y prenne garde, l’important est de parler et surtout de penser clair ! Car si à l’instigation des uns ou des autres l’idée ultime est une séparation, une partition à laquelle aboutirait nécessairement une fédération, alors il faut y aller sans faux-fuyants pour sauver ce qui peut l’être d’un Liban ouvert, accueillant, du Liban-message. Un Liban relié à l’Occident par sa culture, ses choix et son destin, et à l’Orient dont il est l’un des plus beaux fleurons.

Qu’importerait à un Liban arabe mais neutre que des États choisissent entre Occident et Sud global, entre religions révélées, athéisme ou syncrétisme, l’important est pour le Liban de bien préparer le saut dans un nouvel avenir et d’éviter les « à-peupréismes », hypocrisies, non-dits et fuite en avant dont il était coutumier !

Nous sommes à un tournant vital ;  pour le Liban de toujours, c’est aux forces vives d’aujourd’hui qu’incombe la responsabilité de préparer un avenir viable et serein pour les générations futures.

À la croisée des chemins où nous nous trouvons, l’interdiction internationale sur la partition étant levée, le choix doit être clair et courageux pour tous nos décideurs et surtout pour nous tous Libanais.

Veut-on la partition ou bien veut-on et pouvons-nous encore tenter le vivre en commun ?

Un dilemme pour nous tous : foncer vers un Liban uniforme et un avenir incertain, ou défendre et garder envers et contre tout un Liban-message malgré la dureté de la route et les expériences sanglantes des siècles passés et celles d’aujourd’hui ?

Et ce faisant, peut-être se dire « j’ai su, j’en suis fière, enfiler les hivers gardant vivant en moi d’invincibles soleils » (Les gouttes de pluie de Gabrielle Filter-Chiba).

Ambassadeur
Professeure de géopolitique et de relations internationales
Fevrier 2025